Découvrant Gargilesse en 1881, grâce à Promenade autour d’un village de George Sand, Léon Detroy (1859-1955) restera pratiquement soixante ans dans la vallée, habitant tour à tour Gargilesse, Crozant et Fresselines. En 1888, à Crozant il rencontre Maurice Rollinat, habitant à La Pouge, à quelques pas du centre de Fresselines. Une très forte amitié les liera et c’est chez Rollinat qu’il rencontre Monet en 1889.
Le poète a dédié son livre Paysages et Paysans à son ami : ” Au peintre naturiste. A mon vieil ami Léon Detroy, je dédie bien affectueusement ces poésies de campagne, en souvenir des bonnes heures passées ensemble “(Le mot naturiste n’avait pas le sens d’aujourd’hui).
Chéri Léon, comme le surnomme ses amis, désertera Fresselines pendant plusieurs années, très affecté par le décès de son ami Rollinat en 1903.
Il y revient néanmoins chaque été, de 1929 à 1950, logeant au centre du village, pour renouer avec les paysages alentour aux motifs plus variés, sources d’une inspiration renouvelée, palpable dans une part significative des œuvres de cette époque.
Durant sa longue carrière, Detroy a revendiqué une liberté de vie et d’expression qui lui coûta un déficit de reconnaissance. Fuyant les salons parisiens et une approche mercantile de l’art, il embrassa l’effervescence artistique de son époque, sans jamais s’enfermer dans une doctrine.
Evoluant avec les avant-gardes, il resta très attaché au classicisme du dessin, aux contours fermes, n’adoptant pas les formes floues de l’impressionnisme, partageant néanmoins l’attrait pour les peintures de paysage et la recherche de la restitution des vibrations de la lumière.
Peintre post-impressionniste, il eut une courte période divisionniste (1900-1910), passant des petites touches juxtaposées à une touche longue et plate. De ses séjours dans le Midi, il garde le goût des couleurs exacerbées, flirtant ainsi avec le fauvisme, sans toutefois cloisonner les formes par des contours très marqués.
Lors de ses rares apparitions dans des expositions, il fut salué par la critique, reconnaissant en lui un peintre indépendant, un coloriste au dessin affirmé, doté d’une vision singulière et d’une force particulière.
Proche des jeunes, il leur prodigua des conseils et décela en Gaston Thiéry (1922-2013), son voisin, réfugié à Fresselines en 1940, le peintre renommé qu’il deviendra, capable de restituer la nature sauvage et secrète de la vallée de la Creuse.
André Villeboeuf (1893-1956), se lie d’amitié avec Léon Detroy, dont il rejoint l’atelier parisien en 1912. Invité par son ami, il séjourna plusieurs fois à Fresselines. Virevoltant entre la Bretagne, la Belgique, la Turquie, Venise et l’Espagne, il mena, comme le souligne Christophe Rameix, “[…] sa carrière à cent à l’heure, voulant tout voir, tout connaître, tout comprendre[…] Un touche-à-tout du monde des arts ». S’il fut plus influencé par les couleurs de Raoul Dufy que par celles de Detroy, il sut néanmoins retranscrire les chaudes teintes automnales typiques de la Creuse. Detroy, qui le considérait comme son fils, le choisit comme exécuteur testamentaire mais son décès prématuré, six moins après son maître, l’empêcha de mener à bien la mise en valeur son oeuvre.
La passerelle du Puy-Guillon
début XXe siècle, huile sur toile
© Gilles Kraemer, Le Curieux des arts Crozant, Musée-Hôtel Lépinat.
Alfred Smith (1854-1936), découvre la Creuse en 1912, sur les conseils d’Eugène Alluaud et Paul Madeline. Pendant une vingtaine d’année, il séjourne plusieurs mois par an à Crozant, où les sites des ruines du château, de la Sédelle et des moulins, de préférence par un matin d’automne ou d’hiver, lui inspire de nombreux tableaux qu’il expose dès 1914. De formation académique, ayant embrassé l’impressionnisme grâce à sa proximité avec le cercle de Guillaumin, il devint représentatif du paysage post-impressionnisme creusois.
Anders Osterlind, (1887-1960), fils d’Allan, fréquenta l’école primaire de Gargilesse et de Fresselines et côtoie le cercle d’amis de ses parents, dont Maurice Rollinat. Très tôt reconnu et exposé dans les Salons parisiens, il n’en demeure pas moins un artiste à part dans la communauté des peintres de la Vallée de la Creuse, plus réputée pour ses peintres impressionnistes. Abordant rapidement ce mouvement, proche de son père, il rejoint l’effervescence artistique de Montparnasse, puis développe un style expressionniste très personnel, loin des modes. Peintre paysagiste dont la technique, la peinture au couteau, sera la marque, il fait jaillir la couleur avec des aplats puissants de pâte colorée, influencée par les Fauves et Cézanne, qu’il reconnait comme son seul maitre. Sa palette varie selon les périodes émotionnelles de sa vie. Il apporte dans ses peintures de paysage une touche d’humanité, peu fréquente chez ses contemporains, préférant retranscrire la beauté du paysage ou ses conditions atmosphériques.
On estime à près de 2000 toiles sa production artistique, présente dans des collections publiques et privées en France et à l’étranger.
En septembre 2024, l’association A. Osterlind fit donation au Musée de la Vallée de la Creuse, Eguzon de cette nature morte “Vase de fleurs sur fond de paysage”. Cette donation ainsi que celle faite simultanément au Musée Lépinat, de Crozant, illustre la volonté de partage avec le public, qui anime toujours les descendants de la famille Osterlind.
Emile-Othon Friesz (1879-1949), jeune peintre venu du Havre, arrive à Crozant en 1901. Familier de la peinture impressionniste, il se détache rapidement de l’influence de Guillaumin : couleurs moins vives, cadrages inhabituels avec des vues restreintes ou plongeantes, format de tableaux plus haut que large, à l’inverse de l’usage pour des peintures de paysage. Lors d’une exposition en 1904, il est repéré par Matisse avec ses vues de Crozant, aux larges aplats et couleurs pures et deviendra un des représentants du Fauvisme.
Vallée de la Creuse (Crozant)
1901, huile sur toile 73 x 57 cm
Musée des Beaux-Arts André Malraux, Le Havre
Francis Picabia (1873-1953), véritable ovni parmi les peintres de la vallée de la Creuse, arrive en 1909, à Crozant, pour dépasser les peintures d’E-O Friesz. Rompant très vite avec l’impressionnisme, il expérimente le fauvisme, le cubisme, l’abstraction et le dadaïsme. Appréciant particulièrement le site de la Sédelle, il le transforme, d’un geste nerveux, en une petite rivière surgissant au milieu d’un amoncellement de rochers déstructurés, dont les couleurs jouant sur le vif et le sombre, accentuent le dynamisme du paysage.
Sa peinture de la Creuse, période charnière dans son œuvre, a contribué à sa profonde mutation artistique, l’inscrivant parmi les avant-gardistes de son époque.
La Sédelle
1909, huile sur toile 69 x 88 cm
Musée National d’Art moderne
Centre George Pompidou, Paris
Paul Sérusier (1864-1927), cofondateur en 1888 du groupe des Nabis (prophète en hébreu) traduit la quête spirituelle et le renouveau esthétique de ces jeunes peintres, disciples de Paul Gauguin, prônant un retour à l’imaginaire et à la subjectivité.
Il fit un court séjour à Crozant en 1910, donnant aux ruines du château, une rare dimension symboliste.
Le pont, ruines de Crozant
Pastel sur vélin, 26 x 19 cm
Coll. part.
Mania Mavro (1889-1969), d’origine russe, en vogue dans le monde artistique parisien des années 1930, pratique la peinture de paysage et arrive à Crozant en 1925. Remarquée pour ses qualités de coloristes, elle réalisera des œuvres très personnelles, nullement influencée par l’esprit dominant dans l’Ecole de Crozant.
Le moulin de la Folie sur la Sédelle
1931, huile sur toile 63 x 52 cm
Coll. Petit Musée de l’Ecole de Crozant
Roger Decaux (1899-1955), par ses peintures, témoigne de la métamorphose des paysages de la vallée de la Creuse, après la montée des eaux due à la construction du barrage d’Eguzon. Si en 1940, sa peinture de Crozant, les ruines, exalte les couleurs colorées et chaudes des bruyères et le gris des falaises, le paysage va désormais devenir verdoyant.
Voir aussi les pleinairistes REALISTES et les IMPRESSIONNISTES