Rejetant l’académisme de leurs ainés, ces modernes veulent retranscrire l’âme de la vallée, avec les couleurs des brumes matinales s’élevant au-dessus des gorges ravinées, la gelée blanche hivernale, le soleil du soir, le courant tantôt calme ou impétueux de la rivière.
Tout d’abord baignés dans l’impressionnisme de cette fin de siècle, initié par le Maitre Claude Monet, venu à Fresselines en 1889, certains s’en détacheront, comme Léon Detroy ou Anders Osterlind , tandis qu’Armand Guillaumin, arrivé à Crozant en 1892 y poursuivra, pendant trente ans, l’aventure impressionniste.

Citons en quelques-uns.

Armand Guillaumin (1841-1927), présent à l’exposition de 1874 chez Nadar, qui vit naître l’impressionnisme, fut l’un des créateurs majeurs du paysagisme impressionniste. Dès sa formation vers 1865, à l’école municipale d’art puis à l’Académie Suisse où il rencontre Cézanne et Pissarro, il adopte le parti des modernes avec une palette de couleurs franches, parfois violentes, posées avec rapidité en touches fragmentées ou en aplats. En 1891, bénéficiaire d’une forte somme d’argent gagnée à la loterie, il peut se consacrer pleinement à la peinture.
Sa découverte de Crozant en 1892 est un tournant décisif de sa vie et placera au sommet les paysages de la vallée de la Creuse, car comme le souligne Christophe Rameix « La rencontre entre la Creuse et Armand Guillaumin – car il y eut bien une « rencontre » est le point de départ de l’âge d’or du paysagisme dans la Vallée. L’impressionnisme brutal et les couleurs violentes d’Armand Guillaumin s’adaptent à merveille à notre pays rude et coloré. Le peintre est le premier à saisir cette correspondance […] et pendant trente ans il fera de la Creuse le centre de son art ». Il produira des centaines de paysages de Crozant, ses ruines, ses moulins, la vallée de la Sédelle, captant à merveille l’ampleur et la profondeur des panoramas aux couleurs vives, l’atmosphère ouatée de la brume matinale ou du brouillard, la lumière changeante au gré du temps et des saisons, qu’il faut saisir rapidement.
Chef de file de l’Ecole de Crozant, il sera qualifié de « peintre de Crozant » sa « terre d’élection » et influença de nombreux peintres venus se confronter aux paysages de la vallée de la Creuse.

Eugène Alluaud (1866-1947), issu d’une famille de porcelainiers de Limoges s’initie à l’art avec la collection de peintures de son père ; des grands maitres, tels Camille Corot, un ami de la famille, Eugène Delacroix et les pleinairistes Charles Donzel, Victor Le Gentile, fervents défenseurs de Crozant.
Après ses études aux Beaux-Arts de Paris ainsi qu’à l’Académie Julian, il découvre Crozant, semble-t-il en 1887, et loge à l’Hôtel Lépinat, dont il apprécie l’ambiance amicale. Il fait construire, en 1903, la villa La Roca, avec vue plongeante sur la Creuse, vitrine des arts décoratifs en vogue à l’époque.
Devenu une figure majeure de la vallée de la Creuse, il côtoie ceux qui comptent pour la magnifier : les peintres Armand Guillaumin, Wynford Dewhurst, Léon Detroy etc…le poète Rollinat, mais aussi les amateurs d’une nouvelle technologie, la photographie.
On reconnait chez Alluaud une palette de couleurs affectionnant le vert, rappelant Charles Donzel, puis une touche impressionniste proche de Guillaumin avant d’adopter un style propre, plus synthétique, inspiré de Cézanne. Pratiquant la peinture de chevalet et murale, le décor sur porcelaine et la photographie, il deviendra, à la suite de Charles Donzel, le pilier de la vie artistique de Crozant et un ardent défenseur des paysages la vallée de la Creuse, mobilisé, dès 1921, contre la construction du barrage d’Eguzon.

Allan Osterlind (1855-1938), d’origine suédoise, découvre Gargilesse en 1886 avant de s’installer à Lépaud en 1887 où son fils Anders nait. Bien que se rendant souvent en Bretagne, la Creuse restera son port d’attache. Il y rencontre ceux qui anime la vie artistique locale de l’époque : Rollinat, Monet, Guillaumin, Henri Jamet, Léon Detroy, Alfred Smith. Très chaleureux, un journal de l’Indre le présente en 1929 comme « Un grand ami de la vallée, plus connu dans les villages où il s’arrête sous le nom de « Mr Allan » que celui « d’Osterlind » et les habitants des villages où il vécut, le voient toujours revenir au pays avec grand plaisir ».
De formation académique, il pratique avec aisance, l’aquarelle, la peinture, le dessin et la gravure travaillant aussi bien les paysages, scènes de genre et natures mortes que des portraits comme celui de Maurice Rollinat, dont il fut le voisin lorsque la famille Osterlind habitait Fresselines. Tenté par le paysagisme impressionniste, il produira des paysages aux couleurs chaudes, emprunts de calme. Il présente quelques tableaux de paysage en 1930 à l’exposition « Les peintres de la Creuse ».
En septembre 2024, l’association A. Osterlind, fit donation au Musée Hôtel Lépinat de Crozant,  du tableau « Portrait de jeune fille » dédicacé « A Gabrielle. Souvenir de Nanette », évoquant les liens d’amitié entre les familles Osterlind et Lépinat, dont Gabrielle était la fille et l’amie de Nanette, fille d’Allan. Cette donation ainsi que celle faite simultanément au Musée de la Vallée de la Creuse d’Eguzon, illustre la volonté de partage avec le public, qui anime toujours les descendants de la famille Osterlind.

Paul Madeline (1863-1920), découvre Crozant en 1894 grâce à Maurice Rollinat et Léon Detroy. Travaillant avec des touches rapides aux couleurs vives, il peint des paysages lumineux. Pendant vingt-cinq ans, il revient passer quelques mois à Crozant, privilégiant la période automnale quand la végétation revêt des tons chauds.

Wynford Dewhurst (1864-1941), peintre anglais, admirateur de Claude Monet, vient à Crozant de 1895 à 1910, abandonnant les pratiques de sa formation académique au profit de celles de l’impressionnisme. Il en sera le défenseur par son livre L’impressionnisme, sa genèse, son développement, publié en 1904, participant à faire connaitre ce mouvement outre-manche.

Wynford Dewhurst, vers 1900, huile sur toile 60 x 82 cm, offert par l'artiste à la mairie de Crozant
Wynford Dewhurst
Les Bruyères, effet du soir
vers 1900, huile sur toile 60 x 82 cm
Mairie de Crozant

Henri Pailler (1876-1954) arrivé à Crozant en 1901, s’installe l’année suivante avec son épouse à Vitrat, hameau proche de Crozant. Influencé par Guillaumin, il peint les mêmes sites avec une grande qualité de couleurs et de lumière.

Henri Pailler Vieux chemin à Vitrat (Crozant) 1903, huile sur toile 57 x 73 cm Musée des Beaux-Arts de Limoges
Henri Pailler
Vieux chemin à Vitrat (Crozant)
1903, huile sur toile 57 x 73 cm
Musée des Beaux-Arts de Limoges

Clémentine Ballot (1876-1964), rencontre tout d’abord Léon Detroy à Gargilesse en 1902 avant de s’installer à Crozant en 1912. Elle se lie d’amitié avec Guillaumin, qui l’autorise exceptionnellement à ses côtés, lorsqu’il peint en plein air. Ses compositions sont souvent inspirées de celle de son mentor qui participera à promouvoir sa carrière en lui faisant rencontrer le galeriste George Petit. Elle sera plusieurs fois récompensée pour son travail et recevra la Légion d’honneur.

Clémentine Ballot Aurore, Vallée de la Creuse 1915 Huile sur toile 89 x 117 cm Musée National d'Art moderne Centre George Pompidou, Paris
Clémentine Ballot
Aurore, Vallée de la Creuse, 1915,
huile sur toile 89 x 117 cm
Musée National d’Art moderne Centre George Pompidou, Paris

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Voir aussi les pleinairistes REALISTES et les POST-IMPRESSIONNISTES