Marie-Line Colin Périllaud Portrait de Maurice Rollinat Vers 1995 Sanguine sépia 60 x 80 cm Mairie de Fresselines
Marie-Line Colin Périllaud
Portrait de Maurice Rollinat
Vers 1995
Sanguine sépia 60 x 80 cm
Mairie de Fresselines

Maurice Rollinat est né le 29 décembre 1846 à Châteauroux (Indre).
Dès ses plus jeunes années, il se met au piano et écrit ses premiers poèmes, pour lesquels il semble avoir de grandes facilités.
Dès 1867, il monte à Paris et fréquente les milieux bohêmes et est séduit par les œuvres d’Edgar Poe et de Baudelaire qu’il met en musique. Encouragé par George Sand, grande amie de son père, François Rollinat, avocat, et qualifiée de marraine littéraire, il publie son premier recueil de poésies Dans les brandes 1877, qu’il lui dédie mais qui ne connaît aucun succès.
Rollinat commence à se tailler un extraordinaire triomphe dans différents cabarets. Cette popularité se concrétisera par une soirée chez Sarah Bernhardt relayée par des articles de journaux.
Son deuxième recueil Les Névroses parait enfin en février 1883. Ce recueil va du pastoral au macabre en passant par le fantastique : c’est la gloire. Mais cette publication laisse les avis partagés. Certains voient en lui un génie ; d’autres, comme Verlaine un « sous-Baudelaire », doutant ainsi de sa sincérité poétique, l’accusant de plagiat. 
En 1883, Maurice Rollinat décide de quitter Paris, accablé par tout ce tapage, par cette vie trop tumultueuse, déçu par les remises en cause de son talent. Il partira en compagnie de Cécile Pouettre, jeune femme rencontrée quelques mois avant au cabaret du Chat Noir.

Il trouve une maison non loin de la rivière, La Creuse, à Puy Guillon, village de Fresselines. Retraite et paysage, c’est l’idéal pour un artiste. Maurice a son cabinet de travail en plein-air : tout en se promenant jusqu’au confluent des Deux Creuse, il passe son temps en « flanocheries artistiques »: il prépare son nouveau recueil L’Abime. Dans le bourg, on s’interroge sur ce monsieur parcourant la campagne, en récitant les vers qu’il compose en gesticulant. « Il plaide » comme disent les habitants. A la fin de l’hiver, Maurice reprend enfin goût à la vie, sa santé s’améliore ainsi que son moral. La campagne, l’air pur lui font un teint plus reposé. Il retrouve la tranquillité du corps et de l’esprit.
Le couple déménage alors à l’écart du bourg de Fresselines, à La Pouge, en mars 1884. Pour le poète c’est la maison rêvée, en retrait de la route, cachée sous les glycines et les rosiers avec des volets d’un vert éteint ».
« Ma maison qui est plutôt une chaumière, regarde une jolie petite route et un marais verdâtre animé par le foisonnement des grenouilles » disait-il.
Tout proche, un sentier raviné dévale, noir d’ombre, jusqu’à la rivière, La Creuse, proche du pont du Puy-Rageau. Ce sera un de ses coins de pêche favori.
Courant février 1886, il monte à Paris pour présenter son livre L’Abîme. Dans ce recueil, à travers ses poèmes, il analyse l’homme avec ses faiblesses, l’hypocrisie, l’intérêt, la colère, la luxure.

La Pouge, maison de Maurice Rollinat à Fresselines Photo © Fresselineshier.fr
La Pouge, photo de la maison de Maurice Rollinat à Fresselines © Fresselineshier.fr

Le bourg tout entier apprécie la gentillesse de Monsieur Maurice et Madame Cécile comme ils les appellent. L’abbé Daure, devenu ami intime du poète, est content. Rollinat tient de temps en temps l’harmonium et donne aux cantiques une spiritualité nouvelle. L’église est remplie tous les dimanches.
Malgré ses parties de pêche et ses discussions avec les paysans, ses maux de tête, dont il souffre depuis l’enfance, ne feront que croître ; constamment, il se frotte le front avec un crayon « anti-migraine » ou respire des sels anglais. « J’ai dans le crâne une tenaille atroce qu’une invisible main s’acharne à enfoncer, à ouvrir et refermer sans cesse, » écrira-t’il.
Fresselines devient le cœur de tout une vie artistique et intellectuelle qui s’organise autour de Rollinat. Dans la maison de La Pouge se succèdent les Fresselinois bien-sûr, des artistes, des journalistes, critiques, écrivains et poètes.


C’est un hôte incomparable, d’une gaité juvénile, passant du macabre le plus sombre aux plus désopilantes fantaisies. Maurice cuisine, occupation qui l’intéresse beaucoup. « C’est un cuisinier excellent et plus d’un gourmet savourerait ce qu’il apprête » raconte Alphonse Ponroy.
Eté comme hiver, il va taquiner la truite ou le barbeau. C’est ce qu’il appelle « mener une existence légumière et léporesque ». Mais son esprit est constamment alerté par un besoin forcené d’observation de la nature. Tout en se dirigeant vers la rivière ou en attendant une prise, il rumine une formule, saisit une rime au vol et la note sur son calepin.
Le soir, il compose d’admirables mélodies au piano, des préludes, des valses que lui transcrit Frédéric Lapuchin. Maurice ne sait pas écrire ses partitions : il confie à sa mémoire le soin d’emmagasiner ses mélodies et l’écriveur doit retranscrire ces airs sur papier.

Maurice Rollinat, chantant au piano, d'après une aquarelle inédite de Gaston Béthune, 1892. Ce portrait a fait scandale à l'époque, car il était inconvenant de réaliser un portrait la bouche ouverte.
Maurice Rollinat, chantant au piano, d’après une aquarelle inédite de Gaston Béthune, 1892.
Ce portrait fit scandale à l’époque, car il était osé de réaliser un portrait la bouche ouverte.

Dès 1888, Maurice sympathisera avec les peintres Allan Osterlind, Eugène Alluaud, Léon Detroy et quelques années plus tard avec Fernand Maillaud. Beaucoup d’amitiés et d’anecdotes les lieront.


Maurice Rollinat est sensible au monde pictural, en témoigne plusieurs poèmes dont Les feuilles mortes du recueil La Nature dont voici un extrait :
Lorsque la brume se déchire,
On voit luire au soleil peureux
Des jaunes d’un vert douloureux,
D’immortelle, d’ocre et de cire,
Des rouges-vin, des rouges-sang,
De mauvais roses de phtisie,
Tendre et funèbre poésie
Des pauvres feuilles trépassant !
Mais le plus célèbre de ses amis artistes est Claude Monet !
Mi-février 1889, après plusieurs invitations de la part de Maurice, Gustave Geffroy vient enfin avec le peintre Claude Monet. Maurice leur fait visiter les alentours de Fresselines. Séduit par le paysage, Monet décide de retourner à Giverny, fin février, afin d’y prendre tout son matériel de peintre. Il reviendra à Fresselines le 7 mars 1889. Il loge chez la Mère Barronnet dans le bourg mais mange tous les soirs chez Rollinat. Maurice est un hôte incomparable.
Claude Monet connait quelques difficultés pour peindre en plein air à cause du mauvais temps. Si le temps s’assagit un peu, Monet en profite pour avancer plusieurs toiles en même temps. Durant ce séjour de trois mois, Monet écrira 69 lettres principalement à sa compagne Alice Hoschédé :
« Je suis chaque jour plus charmé par Rollinat ; quel véritable artiste, il est bien par moments le plus décourageant qui soit, plein d’amertume et de tristesse, justement parce qu’il est artiste et partant jamais content et toujours malheureux. Je continue à ne le voir qu’aux heures de repas. Les seuls êtres qui font ma société tout le jour sont, outre mon jeune porteur, un superbe chien de Rollinat ; il m’a pris en amitié. Le matin, il arrive à l’auberge, gratte à ma porte et ne me quitte pas une minute ; je suis donc bien gardé et personne ne peut s’approcher de moi quand je travaille. »
Le 6 mai 1889, Monet va bientôt rentrer à Paris et souhaite terminer un tableau où un arbre occupe le premier plan. Stupeur ! Les feuilles commencent à repousser. Il va voir le paysan avec Rollinat, lui propose de l’argent. Finalement, ce seront des jeunes du pays qui viendront effeuiller l’arbre.
Le 15 mai 1889, Claude Monet quitte Fresselines et ses hôtes, emportant vingt-quatre toiles et en promettant qu’il reviendra.

En 1892, parution du livre La Nature Les journaux parlent de son recueil : « En lisant ces vers, on sent que le poète n’est pas de ceux qui étudient la nature dans les livres ; il peint ce qu’il a vu, il exprime ce qu’il a senti… Les enfants qui apprendront ces ravissants poèmes sauront ensuite mieux observer la nature. »
– Extrait d’une lettre de Maurice Rollinat à un ami à propos de l’écriture de son recueil :
(…)  Je me surprends à revivre mon enfance, tant je m’amuse et m’émerveille aux plus petites choses. Je me fais l’effet d’un collégien en éternelles vacances, attiré surtout par ce qui éloigne les gens graves. La plastique et les nuances des choses suffisent à ma contemplation : je m’assoupis de leur immobilité ; je me distrais de leur bougerie. Je suis sans cesse le curieux d’un petit coin d’herbe où je trouve toujours quelque chose de neuf à observer. (…)  La campagne m’a sauvé de l’Ennui qui se ronge sur place ; elle m’a communiqué sa mélancolique sérénité ; je lui dois ma bonne philosophie toute simple, et ma résignation de plus en plus inclinée devant les lois de la Nature.
En 1899, parution de son recueil Paysages et paysans.
Dans ses études paysannes, il s’inspire de l’école naturaliste. Situations, expressions, images sont parfois d’une crudité, d’un mordant qui rappellent La Terre  de Zola. Il se plait dans ce réalisme brutal qui fait partie de son tempérament.
C’est not’ solitud’ de campagne
Qui nous donn’ not’ simplicité.
Eux, avec la foul’ pour compagne,
I’ n’apprenn’ que la vanité !
I sait ben, lui qu’est not’ conscience,
Qu’la serrur’ d”âm d’un villageois
S’laiss’ débarrer par un bourgeois
Avec la bonn’ clef d’la confiance. *
*Extrait de  Les Clairvoyants – Paysages et Paysans

En 1903, deux décès vont profondément marqués Rollinat : le 24 août celui de Cécile et le 20 septembre celui de l’abbé Daure. Le peintre et ami Eugène Alluaud l’emmène à Limoges pour tenter de le distraire. Docile, Rollinat se laisse faire, comme si tout lui était devenu indifférent. Il est de plus en plus malade. C’est un véritable squelette. Il tente de se suicider. Mais ce n’était pas l’heure de sa mort et la balle ne fait qu’effleurer la mâchoire. Le bruit de sa folie s’accroit avec rapidité dans les journaux. Mais entre-temps, les médecins ont diagnostiqué une maladie : « tumeur carcinomateuse de l’intestin » et Maurice ne veut pas suivre de traitement.
Le 21 octobre, il part pour Paris ; sa famille l’avait fait admettre dans une clinique d’Ivry.
Il décèdera le 26 octobre à l’âge de 56 ans.
« Quand on aura fermé ma bière
Comme ma bouche et ma paupière,
Que l’on inscrive sur ma pierre :
« ci-git le roi du mauvais sort. »
« L’épitaphe », poème écrit par Maurice et paru dans son recueil Les Névroses

Maurice Rollinat est enterré à Châteauroux. Aucun discours ne sera prononcé.
En octobre1906, grâce à des commanditaires (Sarah Bernhardt, Claude Monet, Gustave Geffroy, Eugène Alluaud,….) un bas-relief, réalisé par Auguste Rodin, sera apposé au dos de l’église : « la muse et le poète ». Beaucoup de monde y assisteront, des discours prononcés, des poèmes seront lus et une fanfare jouera quelques morceaux de sa musique.

Marie-Line Périllaud
Auteure de Maurice Rollinat, Hors Cadre
éd. Maïa, 2023.


Pour aller plus loin

– BRUNAUD Pierre, Les visiteurs de Maurice Rollinat à Fresselines, 2022.
– BUVAT Pierre, Cher Maurice Rollinat, auto-édition.
– DUGENEST Jean-Claude, Hommage à Maurice Rollinat, Choix de poésies illustrées, Editions du Centenaire, Fresselines 2003.
– LAPAIRE Hugues, Rollinat, Poète et Musicien, Librairie Mellotée, Paris.
– Le GUILLOU Claire, Maurice Rollinat, ses Amitiés Artistiques, Musée Hôtel Bertrand, Châteauroux, Ed. Joca Séria.
– MIANNEY Régis, Maurice Rollinat, Poète et Musicien du Fantastique
– PERILLAUD Marie-Line, Maurice Rollinat, HORS CADRE, Ed. Maïa, 2023.
– VINCHON Emile, La vie de Maurice Rollinat, éd. Laboureurs & Cie, Issoudun.

 – Maurice Rollinat à Fresselines, Marie-Line PERILLAUD, conférence de juillet 2024 à Dun-le-Palestel.
Maurice Rollinat dans la Creuse, André VINCHON, Mémoires de la Société des Sciences Naturelles et Archéologiques, XXVII, 1939, p. 306-330.
Maurice Rollinat, délégué cantonal, Amédée CARRIAT, Mémoires de la Société des Sciences Naturelles et Archéologiques, XXXXII, 1986, p. 633-634.
Cartes d’invitation de Maurice Rollinat à Henri de La Celle, propriétaire du château de Puy Guillon, Bulletin de la société “Les Amis de Maurice Rollinat”, 2024, p. 64-67.
Maurice Rollinat, A propos d’un portrait de Gaston Béthune, Octave UZANNE, L’Art et l’Idée, 1892.

– L’ association Les Amis de Maurice Rollinat, met en ligne sur son site internet constamment enrichi, la biographie et des fiches thématiques sur la vie et l’oeuvre littéraire et musicale du poète. Elle a créé l’Itinéraire Maurice Rollinat, très documenté, à faire en indépendant, menant de Châteauroux à Fresselines en passant par Ceaulmont, sur les lieux où vécut le poète.

Voir les rubriques Littérature, Village en poésie et Sous la plume des écrivains

 

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