La Vallée de la Creuse

Fresselines fait son cinéma avec

Deux amis passionnés de l’image et du son, André Jolly et Marc Roy créent en 1986 l’association Creuse In Vision à Fresselines, Journal Officiel du 14 mai 1986 (asso. N° 3813), reconnue d’intérêt général depuis le 9 novembre 2023 . L’association a pour but la réalisation et la projection de ses productions : reportages, clips vidéo, documentaires et fictions ayant Fresselines, la Creuse, le Limousin, le bas Berry …  comme lieux principaux de réalisations . Aujourd’hui,  l’association compte quelques 80 réalisations.
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La photographie dans la Vallée de la Creuse au temps de l’impressionnisme (1875-1920)

Bien connue comme la vallée-atelier des peintres pleinairistes depuis le milieu du XIXe siècle, la Vallée de la Creuse, à partir de 1875, suscita, de surcroît, un véritable engouement auprès des photographes amateurs et professionnels, pratiquant ce nouveau medium.
Après les écrivains et les peintres, c’est à leur tour d’en immortaliser les paysages sauvages, la lumière, l’habitat rural et ses habitants, pris sur le vif dans leurs activités quotidiennes. Mais la topographie variée de la Vallée, alternant vue panoramique et champ resserré, les eaux mouvantes, le ciel vaporeux, les falaises rocheuses à la végétation colorée, tous ces éléments auxquels les peintres se sont confrontés, ne purent être captés techniquement par la photographie, qu’à partir du dernier tiers du XIXe siècle, chacun d‘eux nécessitant jusque-là des temps de pose différents.
Le premier à avoir fixé les paysages photographiques de Crozant,  destinés à la vente au public, est Placide Verdot (1827-1889), photographe professionnel installé à Châteauroux, réputé, dans les années 1870,  pour l’édition de ses « vues, monuments et curiosités archéologiques de l’Indre », dont il laisse un corpus de 500 vues différentes.
Léopold Perrot de Chaumeux (1828-1899), quant à lui, en amateur éclairé, écrira de nombreux articles sur la photographie, et réalise des épreuves consacrées aux ruines du château, lors d’escapades à Crozant, depuis la maison familiale de Prissac (Indre). On mesure, dans ces années 1870, les difficultés à saisir les ciels.  

Promeneurs dans les ruines de Crozant vers 1875 Coll. part. en dépôt aux Archives départementales de l'Indre
Léopold Perrot de Chaumeux
Promeneurs dans les ruines de Crozant, vers 1875,
Coll. part. en dépôt aux Archives départementales de l’Indre.

Dans les années 1880, Henry Rebilliat (1852-ap.1891), amateur éclairé originaire de Cluis (Indre), part pour des excursions photographiques autour des sites vantés par George Sand. Il en réalise un intéressant album photographique de paysages. Il révèle également les liens naissants entre les photographes et les peintres, ceux-ci percevant l’utilité mémorielle et de reproduction de ce medium, et se faisant photographier en plein travail.

Les progrès techniques et l’engouement pour ce nouveau procédé entrainent l’augmentation du nombre de praticiens et la création de société d’amateurs, dépassant la centaine dès 1905. La Société photographique et artistique de Limoges, fondée le 8 février 1889 en « faveur des photographes et amateurs, et des amateurs d’art de la région du Centre de la France », contribuera à la valorisation de l’image de la Vallée de la Creuse.
On doit à la Société photographique de Limoges, créée en 1900, l’organisation des trois premières expositions publiques de photographies d’amateurs en 1901, 1902, 1903.
En 1902, l’exposition du « Limousin pittoresque et monumental » affiche clairement l’ambition de valoriser l’attraction touristique du Limousin et reçoit 12000 visiteurs. Plus de 2300 épreuves photographiques sont exposées, aux sujets en grande partie inédits.
Louis Lacrocq (1868-1970) président de la Société des sciences de la Creuse et Maurice Rollinat, (1847-1903), l’emblématique poète-musicien de Fresselines, sont appelés pour assurer la réussite de cette exposition, fournissant des photographies et des cartes postales et sollicitant leurs importants réseaux.
Le peintre Eugène Alluaud (1866-1947), très admiratif de Rollinat, réalise une série de clichés du poète, où l’on sent déjà la recherche du geste artistique.

Eugène Alluaud La chambre de Rollinat à La Pouge, vers 1902 Médiathèque Equinoxe Châteauroux
Eugène Alluaud
La chambre de Rollinat à La Pouge, vers 1902, Médiathèque Equinoxe Châteauroux

Maurice Rollinat reçu à Fresselines des photographes amateurs et professionnels, tel Achille Mélandri (1845-1904), auteur de portraits du poète. Également romancier, il s’inspire de son séjour creusois pour écrire le roman Patte de Velours.
Edouard Papillon (1843-1914), peintre et photographe amateur, résidant régulièrement à Crozant, fut un proche de la communauté d’artistes peintres de Crozant. Il en laisse des portraits dans un album de plus de 200 épreuves photographiques, réalisées entre 1880 et 1890 et participe à l’Exposition de Limoges de 1902.
A la fin du siècle, les cartes postales rencontrent un vif succès et participent à la découverte des sites et paysages creusois, tout comme les sociétés excursionnistes qui commencent à mentionner les circuits en Limousin, en indiquant les haltes photographiques.

En 1892 parait, semble-il pour la première fois, un Petit guide d’excursions sur les bords de la Creuse, par E. Mesnard et G. Rouet. En 1904, le Touring Club de France publie un volume spécial sur le Limousin, offrant un important corpus de photographies de sites remarquables.

E. Mesnard et G. Rouet Petit guide d’excursions sur les bords de la Creuse, 1892
E. Mesnard et G. Rouet Petit guide d’excursions sur les bords de la Creuse, 1892

Certains professionnels, souvent professeurs d’archéologie ou architectes,  pratiquent la photographie documentaire, sans intention artistique, mais qui complète le travail des scientifiques : Gustave William Lemaire (1848-ap.1920), Lucien Roy (1850-1941), Eugène Lefèvre-Pontalis (1862-1923), Eugène Hubert (1866-1940), ont ainsi réalisé un véritable inventaire du bâti et des paysages de la vallée de la Creuse.

Eugène Hubert Le Moulin de Vervy et le pont sur la Creuse vers 1920-26 Coll. Archives départementales de l'Indre
Eugène Hubert
Le Moulin de Vervy et le pont sur la Creuse, vers 1920-26,
Coll. Archives départementales de l’Indre

A la fin du XIXe siècle, bénéficiant des progrès techniques, la photographie acquiert le statut d’art à part entière, pratiquée par un nombre croissant d’amateurs éclairés. C’est le cas de Charles de Clugny (1862-1930), installé dans un « cottage » à Crozant, équipé de plusieurs espaces dédiés à la pratique de sa passion. Il présentera dans différents salons, hors de la région, des photographies de la Creuse, des nus et des scènes de genre, témoignant d’un goût naissant pour la « mise en scène » photographique.
Le photographe Jean Jové (1876-1957), atteste, par ses choix de cadrage et de points de vue inhabituels, sa volonté d’élever la photographie au rang de la peinture de paysage.   

Jean Jové Ruines de Crozant vers1915 Coll. Archives municipales de Limoges
Jean Jové
Ruines de Crozant, vers1915
Coll. Archives municipales de Limoges

L’invention de l’autochrome par les frères Lumière, breveté en 1903, révolutionne l’art de la photographie. Grâce au rendu des couleurs, les photographes immortalisent les paysages de la Vallée de la Creuse, à la manière des impressionnistes.
Antonin Personnaz (1855-1936), ami de Claude Monet et d’Armand Guillaumin, réalise près de 35 autochromes de la Vallée, lors d’un séjour chez ce dernier vers 1907.

Antonin Personnaz Armand Guillaumin peignant "Baigneurs à Crozant" vers 1907-1909 Coll. Société Française de Photographie
Antonin Personnaz
Armand Guillaumin peignant “Baigneurs à Crozant”, vers 1907-1909
Coll. Société Française de Photographie

Charles Alluaud (1861-1949), est, comme son frère le peintre Eugène, un ardent défenseur de la Vallée, où chacun d’eux possède une villa d’agrément à Crozant. Charles, l’un des membres fondateurs de la Société photographique et artistique de Limoges en 1889, est un photographe amateur éclairé, ayant laissé des épreuves de paysages de  Crozant. Il pratique aussi l’autochrome, se conformant au couple de complémentaires rouge/vert, règle picturale de référence depuis Corot.

Charles Alluaud Jeune fille en lavandière vers 1910,12 Coll. Musée d'Art et d'Archéologie de Guéret
Charles Alluaud
Jeune fille en lavandière, vers 1910,12 Coll. Musée d’Art et d’Archéologie de Guéret

Le célèbre photographe et grand voyageur Jules Gervais-Courtellemont (1863-1931) réalise en Berry des portraits autochromes d’Aurore, la petite-fille de George Sand et des vues de Nohant, des ruines de Châteaubrun et de Crozant, destinées à être projetées à Paris et en province.
S’occupant de l’entreprise familiale Haviland & CO, l’une des plus importantes manufactures de porcelaine en France, Paul Burty Haviland (1880-1950), pratique assidument la photographie depuis ses études à Harvard. Il semble que son premier séjour dans la Vallée de la Creuse date de 1903, certainement recommandé par Eugène Alluaud, alors chef atelier décorateur de la manufacture. Il séjourne régulièrement à Crozant et immortalise la vie mondaine de la communauté artistique.  Toujours en recherche de nouvelles expérimentations, il pratique, à partir de 1908, le procédé de l’autochrome, utilisé, peu à peu, pour aborder les paysages comme un sujet artistique, créant des vues de paysages « universels » et non plus localisés. C’est à Crozant qu’il rencontre Suzanne Lalique, fille du célèbre maitre verrier venue peindre dans la Vallée, qu’il épouse en 1917. 

En avant-gardiste, il s’intéressa aussi au cinéma, se partageant entre New-York et la Vallée de la Creuse. Il semble que le premier film tourné à Crozant soit de 1914. Ses films constituent un exceptionnel témoignage de la vie amicale et artistique de la Vallée, dont les paysages singuliers surent, pendant plus d’un siècle, attirer, tout autant les artistes utilisant la plume ou les pinceaux que les pionniers d’un art naissant, la photographie et le cinéma.
C’est un véritable inventaire de la Vallée de la Creuse, d’une époque ô combien féconde, que nous laissent tous ces artistes, chacun avec son medium, son talent et sa sensibilité propre. 

Sources : La photographie dans la vallée de la Creuse au temps de l’impressionnisme (1875-1920), Jean-Marc Ferrer, Les Ardents Editeurs, 2013.